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l'imparfait du subjectif

Ce qui se voit tout d'abord dans ma peinture ce n'est pas la matière, la pâte et le coup de pinceau, mais ce qui est représenté. La technique, la forme et la structure de l'image ont une fonction descriptive. La peinture est un simulacre, elle se donne pour une réalité.

L'envie de raconter, de porter à l'imagination, la fascination pour le rêve, le récit, le souvenir, l'image, réelle ou mentale, est sans doute à l'origine de mon activité artistique. L'envie de dire le monde qui m'entoure, les gens que je croise, les animaux que j'invente, ce que je vis, ce que je vois m'a porté du dessin d'enfant jusqu'au cours de peinture aux Beaux-Arts. Mais peindre des objets, des personnes, des lieux, pour en faire le portrait, pour en conserver l'image, ne me suffisait pas, il me fallait inventer de toutes pièces, imaginer un univers avec son propre langage. Je me mis à explorer la peinture dans sa fonction figurative avec pour seule source iconographique la mémoire et pour seules règles techniques, la géométrie et la sensibilité.

 

Une méthode proche de l'écriture automatique s'imposa rapidement à moi, les images apparaissaient d'elles-mêmes dans l'apparent désordre des premières lignes et surfaces colorées que le pinceau déposait sur la toile. Je traquais les visages, les corps, les objets dans les courbes, l'espace dans les droites et les plans issus de leurs croisements. La surprise à chaque fois. Car c'est avant tout à moi que je raconte des histoires. Pour me faire rire ou pour me faire peur, pour me montrer ou pour me cacher, par jeu, par amour, par révolte.

 

Le sujet de ma peinture est à chercher dans ce qui la compose: les personnages, les objets, les paysages, le vocabulaire graphique, coloré, symbolique, la proportion, la dimension, l'échelle, la perspective, la lumière, le temps. Bien sûr, chacune de ces images contient quelque chose de ma pensée, de ma perception, de ma vision du monde, de ma façon de dire la permanence de l'image peinte, de mon quotidien, mais elles ont toutes une logique interne et chaque élément, bien qu'issu de mon imagination, a sa propre raison d'être et s'est créé de lui-même au contact d'éléments voisins en fonction de règles qui me dépassent et que j'applique sans bien les connaître.

 

Ma peinture est donc totalement subjective, elle est son propre sujet. C'est peut-être un héritage de l'abstraction constructiviste, de la forme pure.

 

La réserve quant aux intentions évocatrices, l'absence de repères définis, les multiples interprétations possibles, le mélange des styles et des techniques, peuvent créer les conditions du dialogue. Dialogue entre la matière et l'esprit par l'intermédiaire des sens et des outils, dialogue entre le spectateur et l'oeuvre par l'intermédiaire de l'objet, dialogue entre le monde et moi par l'intermédiaire de l'image.

 

Je cherche dans le spectateur un complice qui puisse se reconnaître dans cette incertitude, dans cette imperfection qu'est la pensée individuelle, et qui contribue par sa lecture, ses sentiments personnels, son "intelligence", au sens le plus strict, à rendre réelle cette fiction qu'est la peinture.

 

Serge Cantero

Lausanne le 25 avril 2006